L'art grec au musée Saint-Raymond

(Extrait du catalogue en vente à la boutique du musée, rue des Trois Renards)

Texte publié avec l'aimable autorisation d'Evelyne Ugaglia, Conservateur du musée.


La section grecque du Musée Saint-Raymond comprend pour l'essentiel des céramiques, des terres cuites et des monnaies. Le but de cette réédition est donc de présenter cette collection d'art grec, non dans sa totalité, mais à travers un choix d'œuvres rigoureux et suffisamment important, de façon à ce que le public puisse en saisir l'intérêt sans être noyé dans un lot d'objets répétitifs.
Pour la céramique il semblait indispensable de considérer ces deux aspects:

Cependant la lecture de cette iconographie nécessite une interrogation au second degré, faisant appel à des recherches proches de la linguistique qui ont le mérite de poser les questions même si elles ne donnent, pour l'instant, que des réponses incomplètes.
Enfin, dans ce nouvel ouvrage, nous pouvons présenter les quatre vases que la Ville de Toulouse a pu acquérir ces dernières années.
Les figurines en terre cuite revêtent parfois cet aspect d'objet populaire à la valeur religieuse indéniable, mais à la signification encore ambiguë. Ce faisant, elles tentent également de nous prouver qu'elles reflètent cet art sculptural, officiel, monumental qui n'a cessé de les imprégner, cette grande sculpture qui est absente, de ce panorama. Bien que le musée possède d'excellentes répliques romaines de certains chefs-d'œuvre de la sculpture grecque, celles-ci ne figurent pas au catalogue. En effet, provenant d'un seul et même site (sauf une), relevant d'une période mais aussi d'un esprit différents, elles appartiennent à un ensemble cohérent que nous n'avons pas souhaité dissocier.
Les monnaies n'auraient pu être tenues à l'écart, non seulement en raison de leur importance numérique, mais simplement parce que les images qu'elles firent circuler témoignent à la fois de l'histoire et de l'art grecs. La diversité des sites représentés, le choix du matériau, or ou argent, témoignent de la qualité et de la variété d'un médaillier peu connu du public.
Le musée a également la chance de conserver une petite collection de poids grecs qui n'avaient pas été exposés en 1990 mais qui ont été étudiés depuis et que nous nous devions d'intégrer ici.
Tous les domaines de l'art grec ne sont pas traités mais certaines œuvres grecques, isolées dans la collection, ont permis d'aborder des sujets qui restent liés à l'image, visuelle ou virtuelle, que nous avons de la civilisation grecque. Un intéressant lécythe en marbre blanc, associé à un vase funéraire, a favorisé l'évocation de l'imagerie funéraire et de ses significations pour les croyances et les rites helléniques.
De même, une inscription grecque de Bérénice (aujourd'hui Benghazi, en Libye), un décret, nous autorisait à entrer dans le monde de l'épigraphie. Le hasard a voulu qu'un décret similaire à celui-ci, conservé et aimablement prêté lors de l'exposition art grec, de la terre à l'image, par la bibliothèque-musée de Carpentras, provienne du même endroit. De plus, au XVIIIE siècle, tous les deux ont appartenu au même collectionneur avant de suivre un itinéraire différent. Dès lors il a paru important de les rassembler à nouveau dans une étude comparée et donc de rééditer cette étude. Un don généreux du Professeur Barrière nous a aussi permis d'aborder l'épigraphie sous une autre forme, celle de l'inscription sceau ou "étiquette" en quelque sorte, avec une anse d'amphore estampillée.

En effet, les pièces d'une collection dont la constitution est régie par des préoccupations spécifiques, liées à la sensibilité du collectionneur, ne peuvent donner qu'un reflet artificiel d'une civilisation, ne serait-ce que par les lacunes, volontaires ou non, les choix qui ont été faits. A partir du moment où une pièce entre au musée, isolée, coupée de tout contexte, elle devient exclusivement une œuvre d'art en soi, appréciée pour elle-même, un témoin orphelin qui est investi d'une nouvelle fonction. Tout autre est la fouille archéologique qui met au jour non pas des objets mais un ensemble de données, base de l'élaboration scientifique de l'histoire de ceux qui les ont laissés là. Le moindre tesson, quelle que soit sa valeur esthétique, prend de l'importance, tel est le cas de ce fragment d'anse d'amphore.

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L'art grec dans les collections du Musée Saint-Raymond.

Lorsqu'on regarde les catalogues du musée, en particulier ceux d'Alexandre Du Mège, de 1828 et 1835, on constate la faible quantité de vases grecs, moins d'une dizaine. Il faut attendre 1843, année de l'acquisition par la Ville de Toulouse de l'iriiportant cabinet d'Antiques du comte de Clarac (1777-1847) pour que cela change. Ce dernier, conservateur des Antiquités grecques et romaines du Musée du Louvre et originaire du Toulousain, avait rassemblé une grande quantité de sculptures, de petits bronzes et près de six cents vases étrusques et grecs. Ces céramiques constituent aujourd'hui 30 % de la collection. Certaines proviennent du cabinet du chevalier Antoine-Edme Durand dont le Louvre avait acheté la collection en 1825 et dont Clarac avait pu acquérir quelques vases, à titre personnel. En 1861, la Ville voulut profiter de la dispersion de la collection de Lucien Bonaparte, Prince de Canino, mise en vente à Civitavecchia (Italie). Elle mandata à cet effet Edward Barry (1809-1879), professeur de l'Université des Lettres de Toulouse et collectionneur. ' Parmi les vases qu'il rapporta, peu sont grecs. Quelques années avant sa mort, Bar'fy vendit une grande partie de son cabinet à la Ville, en 1874 et en 1875. Il est surprenant de constater, selon l'inventaire manuscrit du musée, qu'il ne contenait qu'un seul vase grec (mais beaucoup d'étrusques). Lorsqu'en 1863 la Ville reçut en dépôt, comme plusieurs établissements provinciaux, une partie de la richissime collection du marquis Giovanni Pietro Campana (1808-1880), 47 vases (dont un petit nombre de la collection Durand) vinrent augmenter le fonds du Musée de Toulouse. Hormis quelques dons supplémentaires, l'historique de la collection s'arrête là ; ce qui signifie que plus de la moitié des oeuvres est entrée au musée sans que nous sachions, dans l'état actuel de la recherche, quand et comment. Par ailleurs, la provenance de l'objet, le lieu de la découverte comme celui de l'acquisition sont, dans la majorité des cas, inconnus, y compris souvent pour les céramiques venues des collections privées. Cependant on peut imaginer que beaucoup sont issues des grandes fouilles d'Étrurie et d'Italie du Sud menées aux XVIlle et XIXE siècles. Toutefois, certaines étiquettes collées sur les vases tendent à prouver qu'un nombre plus important d'entre eux appartenait aux cabinets de Clarac et Barry sans que cela ait été mentionné dans les inventaires. Cette négligence se constate également dans les catalogues, où la place accordée à la céramique est nettement moindre par rapport à celle qu'occupent sculpture et épigraphie. Les dernières acquisitions ont permis de faire entrer au musée quatre vases dont deux, acquis en décembre 1989, proviennent d'une collection toulousaine du X!Xe siècle, celle de Théodore de Sevin.

Les terres cuites, beaucoup moins importantes en quantité que les vases, apparaissent au musée avec la collection de Clarac qui en comprend quatre; en ce sens, Clarac avait une certaine avance sur ses contemporains. Le dépôt Campana du musée est encore plus pauvre (une) et le fonds Edward Barry n'est pas très riche non plus. Il faut attendre la fin du siècle, à partir de 1880, pour voir arriver dons et dépôts.

En 1895, le Louvre dépose au musée une vingtaine de statuettes et fragments de figurines de provenances variées, tandis que l'engouement des conservateurs pour ces objets favorise l'achat régulier de terres cuites chez les antiquaires parisiens Rollin et Feuardent, entre 1894 et 1906, époque où les galeries regorgeaient de ces oeuvres récemment découvertes dans les fouilles archéologiques. Mais la plus grande partie de la collection fut déposée en 1969 par l'État. Cette nouvelle liste comporte beaucoup de têtes, de bustes, de fragments de statuettes. Une dernière acquisition, en galerie, intervint en 1977 ; les quatre figurines achetées vinrent compléter ainsi les séries des époques archaïque et classique peu représentées par rapport à celles de la période hellénistique. Nous n'avons pas ici de grands ensembles homogènes sortis de fouilles, comme ceux de Myrina ou de Tanagra conservés au Louvre; les dépôts eux-mêmes sont très diversifiés et les provenances assez floues. Plusieurs sont notées de Tarente mais de quel site ? Et sortent-elles toutes du même endroit ? D'autres ne portent que la mention "Asie Mineure". Ce sont le plus souvent des oeuvres tronquées. Les plus belles pièces sont incontestablement celles acquises chez les antiquaires. 1 En numismatique, si certaines monnaies furent acquises par achat, au début de notre siècle, - mais les descriptions restent trop vagues pour que l'on puisse aujourd'hui les identif ier - la majeure partie est arrivée au musée lors de la mise en'dépôt, en 1847, par l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse du médaillier de Charles Clément Martin de Saint-Amand (1700-1763) dont elle s'était portée acquéreur après 1763. Là encore le contexte archéologique de la découverte reste inconnu.

Quant à la collection de poids, elle a été formée à partir de 1848 par Edward Barry qui s'ingénia alors à constituer ce qu'il appelait "le musée des poids et mesures", en regroupant surtout des poids municipaux du Moyen Age et de l'époque moderne. Les poids antiques formaient pour leur part une sorte d'introduction à cette collection. Nous ignorons tout de leur provenance mais les inventaires manuscrits les donnent comme étant d'Athènes. Ce qui signif le peut-être qu'ils ont été achetés dans la capitale grecque. Au décès de Barry, ses collègues de l'Académie des sciences comme ceux de la Société Archéologique du Midi de la France ont fait pression pour que la Ville ne laisse pas échapper une collection que tous jugeaient unique et impossible à reconstituer si elle se dispersait. Il semblerait qu'ils aient été entendus et que l'ensemble fût acquis en 1890.

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Huit siècles d'art grec.

Les oeuvres étudiées s'échelonnent entre le Vlle siècle avant J.-C. etle Ile siècle après J.-C. Elles correspondent aux périodes traditionnelles de l'histoire de l'art grec: archaïque, classique, hellénistique, ainsi qu'au début de la période romaine, la domination de Rome ne mettant pas un terme à cet art, mais le perpétuant.

A l'époque archaïque, aux VIle et VIe siècles avant J.-C., les cadres fondamentaux dans lesquels allait @'épanouir la'civilisation grecque étaient en place. Il ne s'agissait pas d'un État mais d'une multitude de poleis, sortes de cités-états, totalement indépendantes, qui, très vite, rivalisèrent entre elles. Chaque polis était organisée autour de deux centres: l'un religieux, l'acropole, l'autre politique et commercial, l'agora. Dès le Vllle siècle avant J.-C. des crises sociales avaient obligé les Grecs à chercher de nouvelles terres ; ils fondèrent alo rs de nombreuses colonies sur le pourtour de la Méditerranée (comme Marseille et Ampurias) et sur les rives de la Mer Noire. Ce mouvement se poursuivit jusqu'au Vle siècle et favorisa le développement du commerce et de l'artisanat.

Dans chaque cité, le démos (le peuple) remit le pouvoir entre les mains d'un tyran; à Athènes, Dracon et Solon jetèrent les bases de la démocratie qu'allait instaurer définitivement Clisthène à la fin du VIe siècle.
Pour cette période, c'est la céramique qui rend le mieux compte des valeurs artistiques qui se développèrent. L'objet en terre cuite, avant tout utilitaire, devint le support je l'expression du peintre, témoin des préoccupations collectives. Au décor géométrique de motifs linéaires, curvilignes, d'animaux très schématiques, occupant tout l'espace, se substitua une ornementation construite, de frises animalières stylisées, dans un semis floral imprégné d'orientalisme (cf. n" 31 et 32). L'homme, apparu sur les grands vases athéniens dans des tableaux retraçant les rites funéraires, prenait une place de plus en plus importante. Corinthe, pour ne pas l'avoir compris, allait y perdre, au Vle siècle, sa prééminence. Comme l'individu dans la société, l'homme devint dans l'art le centre d'intérêt. Dès lors l'épopée homérique investit la céramique -, les peintres, comme Clitias ou Exékias, la mirent en valeur au moyen d'une technique qui avait fait d'énormes et rapides progrès, celle de la figure noire.
Parallèlement, la grande sculpture essaya de traduire ce même intérêt dans la pierre ou le marbre. Hommes ou dieux, ce sont des représentations encore empreintes de l'influence égyptienne; les Kouroi et les Korai - jeunes hommes nus et femmes vêtues, debout, en position frontale, bras le long du corps - s'animèrent. La vie passa d'abord dans le visage, à travers le sourire, puis dans l'avancée de la jambe, dans une draperie plus souple. C'est aussi l'époque où, dans les constructions publiques, pierre et marbre remplaçaient le bois et la terre cuite. L'Hellade se couvrit de temples. Deux courants s'individualisèrent -. - le dorique : monumental, sévère, d'où tout superflu est absent et où la part d'interprétation de l'artiste est importante ; il domine en Grèce continentale. - l'ionique : au contraire, tout en richesse décorative, en exubérance, fortement influencé par l'Orient; il marque les créations d'Asie Mineure et des îles, mais, plus raffiné que le précèdent, il sut séduire Athènes et l'Attique.
Le travail des bronziers avait atteint un niveau technique particulièrement remarquable comme l'atteste le cratère de Vix, conservé au Musée de Châtillon-sur-Seine.
Le Ve siècle avant J.-C. vit Athènes devenir, avec le triomphe de sa démocratie, un phare pour les autres cités. L'art se développa de façon spectaculaire à travers une recherche et une créativité intenses, en relation avec le développement de la philosophie. Tout cela dans un climat d'affrontements sanglants, ceux des guerres médiques qui opposèrent la Grèce à l'Empire Perse -, Athènes allait en sortir grandie et sa tendance à l'impérialisme s'accentuer, point de départ de la guerre du Péloponnèse entre 423 et 464; ces combats fratricides laissèrent la Grèce exsangue et Athènes très affaiblie.
Malgré cela la cité attique vit là son âge d'or avec le "Siècle de Périclès" (450-429). Celuici, ami des arts et des lettres, pratiqua une politique sociale de grands travaux. Il fit reconstruire les temples de l'Acropole, détruits par Xerxès, et en bâtit de nouveaux. Les créations de cette période, allant du début du Ve siècle au milieu du IVe siècle avant J.-C., furent appelées "classiques" dès le Ille siècle avant J.-C.
Dans la première moitié du Ve siècle avant J.-C. la sculpture libéra la forme humaine de sa raideur hiératique et amorça une véritable révolution, dans les métopes et les frontons des temples comme dans les œuvres isolées. Polyclète rompit à tout jamais la vieille loi de la frontalité, transformant l'axe rigide du corps en une courbe sinueuse qui relève une hanche et une épaule opposées, déplaçant le poids du corps sur une jambe, et mettant l'autre en mouvement. Grand théoricien, il régla à travers son "canon" les rapports de proportions (par exemple, la tête contenue sept fois dans la hauteur totale). Myron alla plus loin dans la recherche du mouvement, avec son Discobole, dont le musée conserve une remarquable réplique romaine. En effet, il inventa une posture où la rotation du torse diffère de celle des jambes, dans un condensé d'effort et d'équilibre qui confère à la statue un réalisme, une harmonie et un rythme étonnants. Un peu plus tard, Phidias renouvela la sculpture des frises et des métopes, non seulement au niveau technique, mais aussi sur le plan iconographique, en faisant entrer la réalité de la vie dans un espace réservé, jusque-là, à la mythologie. A la fin du siècle, la frise de la balustrade du temple d'Athéna Nikè annonçait les bouleversements du siècle suivant, avec ses draperies "mouillées" qui laissent transparaître la beauté du corps, son goût de l'élégance, un certain maniérisme.
La céramique n'ignora pas ces recherches et utilisa le raccourci, les codes pour traduire l'expression des sentiments. Polygnote de Thasos introduisit la profondeur par l'étagement des figures, désormais réservées en rouge sur le fond du vase peint en noir. Les représentations féminines, plus nombreuses, traduisent la place nouvelle prise par la femme dans la société grecque, ce qu'évoquait également le théâtre, et Aristophane en particulier (Lysistrata, l'assemblée des femmes). Comme dans la sculpture, à la fin du siècle, des céramistes ont peint des draperies légères, des attitudes empreintes de maniérisme, un style bien caractéristique du peintre de Meidias (cf. n' 67).
C'est aussi à la rin du Ve siècle que l'art funéraire prit une autre dimension, à travers les stèles et plus encore dans les lécythes à fond blanc à la peinture délicate et fragile (cf. n' 74). Au IVe siècle avant J.-C., la Grèce - et principalement Athènes, très affaiblie par les déchirures causées par la guerre du Péloponnèse - a vu ses certitudes s'ébranler; les valeurs traditionnelles furent mises en doute, l'inquiétude s'installa et la sculpture, plus que toute autre forme d'art, traduisit cet état de fait. Le sculpteur chercha à exprimer l'émotion, les sentiments, la vie intérieure. A l'idéal de la force virile se substitua celui de la beauté, de la sensualité féminines. Si l'influence attique resta importante, dans la seconde moitié du IVe siècle avant J.-C., les centres artistiques se déplacèrent dans les nouvelles cités, Antioche, Alexandrie, fondées par Alexandre le Grand, ou en Asie Mineure, à Pergame, Halicarnasse, etc.
Trois personnalités marquèrent alors l'histoire de la sculpture pour plusieurs siècles: Scopas, Praxitèle et Lysippe. Le premier a travaillé, entre autres, au célèbre mausolée d'Halicarnasse (destiné au roi Mausole par son épouse Artémise), aux côtés de Bryaxis, Léocharès et Timotée. Scopas était surtout intéressé par la tension physique dans l'effort pour les corps, l'expression des sentiments, le pathétique pour les visages. Praxitèle, à l'inverse, préférait les figures isolées, au repos. Il passa sa vie à exalter dans le marbre la beauté de la femme, sa sensualité, comme en témoigne la célèbre Aphrodite de Cnide, copiée tant de fois dans l'antiquité et dont le propriétaire de la villa romaine de Martres-Tolosane possédait un des plus beaux exemplaires (seule la tête est parvenue jusqu'à nous). Lysippe était avant tout un bronzier, qui s'attacha à placer sa sculpture dans l'espace. Il allongea le canon polyclétéen, créant des silhouettes plus sveltes, élégantes, à la musculature subtile, tandis que les visages reflètent une vie intérieure intense. Sculpteur favori d'Alexandre le Grand, Lysippe fut l'initiateur de cet art du portrait que les Romains allaient maîtriser dans les siècles suivants.
L'influence de ces œuvres sur les figurines de terre cuite est indéniable, comme le démontrent le mouvement des corps, les attitudes alanguies, les' visages expressifs (cf. n" 86 et 96). Au Ille siècle après J.-C. Praxitèle marqua plus particulièrement les productions de Myrina, Lysippe celles de Smyrne.
Les mêmes préoccupations devaient exister dans la grande peinture mais, hélas, tout a disparu. Les céramistes n'en donnèrent qu'un pâle reflet à travers une production devenue industrielle. Athènes créa le style de Kertch, au dessin sommaire, rehaussé de blanc, tandis qu'en Grande-Grèce de nouveaux centres se développèrent livrant des œuvres variées, originales, des vases à figures rouges qu'agrémentent parfois des rehauts colorés. La femme devint le sujet favori, dans des scènes de genre ou mythologiques; Aphrodite, Éros, Dionysos, restaient les divinités préférées.
A l'époque hellénistique, l'empire d'Alexandre le Grand se désagrégea rapidement; la Grèce se débattait dans des luttes intestines et devait faire face aux invasions de Celtes. Ceci facilita l'emprise de Rome qui, dès le Ile siècle avant J.-C., étendait son hégémonie sur la Grande-Grèce, pactisait avec l'Asie Mineure et en 146 avant J.-C. contrôlait tout le monde grec. Alexandre avait porté l'hellénisme aux confins de l'Orient, la culture et l'art s'uniformisèrent. L'art devint plus luxueux, plus grandiose. Les villes nouvelles eurent un urbanisme axé sur un plan orthogonal et de somptueuses constructions civiles. Dans les villes anciennes, les rois de Pergame, richissimes, pratiquant une politique de propagande, financèrent de nouveaux aménagements de l'agora à Delphes, à Délos, à Athènes. Les habitations se modifièrent, elles s'agrandirent, adoptèrent un plan centré autour d'une cour à péristyle, que l'on retrouve dans les grandes demeures romaines, et furent richement décorées. La sculpture prit un aspect monumental, théâtral, l'art du portrait se développa. Les artistes aimaient à représenter les enfants mais aussi la vieillesse, la maladie; les œuvres sont empreintes de naturalisme, voire de symbolisme; tandis qu'un courant revenait aux principes de classicisme comme dans la Victoire de Samothrace ou la Vénus de Milo. Tout cela se retrouve dans les figurines de terre cuite de cette période.
La céramique marqua ce changement de goût; abandonnant les scènes historiées, le peintre privilégia le décor végétal polychrome comme dans les vases de Gnathia, en Italie du Sud. Le goût des vases plastiques eut pendant cette période un essor particulier.
L'art des premiers siècles avant et après J.-C. continua de mettre en œuvre les principes grecs, mais se chargea d'une culture et d'un esprit nouveaux, ceux de Rome.

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De la collection privée à la collection publique, dernières acquisitions

Comme nous l'avons vu, c'est à partir du milieu du XIXe siècle que la section grecque a véritablement été formée: par l'achat du cabinet privé du comte de Clarac en 1843, par le dépôt, que fit le Musée du Louvre, d'une partie de la collection Campana en 1863, ainsi que par quelques acquisitions comme celle d'une partie de la collection du Prince de Canino. Il y eut là une véritable volonté de constituer un département d'antiquités grecques. Il semblerait que les conservateurs qui se sont succédé depuis la fin du siècle dernier aient été impressionnés par le lot, somme toute important, de céramiques car, s'ils continuèrent à augmenter la collection en monnaies ou en figurines de terre cuite, depuis 1899 pas un seul vase grec ne fit l'objet d'un achat (c'est du moins ce qui apparaît dans les inventaires). Ce que l'on peut regretter car, comme toute collection, celle du Musée Saint-Raymond comporte des lacunes qui, maintenant, sont plus difficiles à combler.
C'est en 1989 qu'une occasion nous fut donnée de modifier cet état de fait, lors d'une vente publique à Toulouse. Ce jour-là, étaient proposés les reliquats d'une collection du XIXe siècle, celle de l'archéologue Théodore de Sevin (1837-1889). Membre éminent de la Société Archéologique du Midi de la France, ce dernier est surtout connu pour sa fouille archéologique de l'amphithéâtre romain de Toulouse-Purpan. Il était dès lors intéressant de faire entrer dans le domaine public ce qui avait été le choix de cet amateur éclairé. D'autant que ces pièces sont en excellent état et ne peuvent que faire regretter la dispersion, dès avant 1889, d'une collection que l'on peut présumer de qualité. Toutefois, cette seule raison ne pouvait suffire à cette acquisition puisque l'achat d'une œuvre d'art doit se faire en fonction de la collection du musée, de son apport dans une série, un domaine, etc. Ce choix peut être du domaine de l'iconographie, du thème évoqué sur la céramique ou bien de celui de la technique et donc du style du peintre.
Dans ce cas, il s'agissait d'un grand cratère (le musée n'en conserve pas) représentant Dionysos, thème assez fréquent, mais dans un style le rattachant au Groupe du Bucrane proche du Peintre de Hoppin (premier tiers du IVe siècle av. J.-C.) non représenté au musée. Quant au second vase, il s'agit d'une grande oenochoé du style de Gnathia, qui donne désormais une autre idée de cette production représentée jusqu'alors dans nos collections par des pièces de petites dimensions. Par ailleurs, la qualité de I'oenochoé vient confirmer l'importance de ces créations de l'Apulie à la fin du IVe siècle av. J.-C., trop lon2temps considérées comme décadentes alors qu'elles sont significatives de l'évolution de la pensée et du goût grecs.
Un second lot put être acquis en 1993 chez un antiquaire toulousain. Dans ce cas les deux œuvres n'ont pas appartenu au même collectionneur. Il s'agit également de vases provenant d'Apulie, cette région de Grande-Grèce qui, autour de Tarente, développa une production céramique très importante au moment où l'art hellénistique supplantait le classicisme.
L'hydrie et l'amphore offrent le même sujet, celui de la conversation entre un jeune homme assis et une jeune femme debout, thème de prédilection des peintres apuliens. Ce n'est donc pas le motif décoratif, pourtant rare dans la collection du Musée Saint-Raymond, qui attira notre attention ; mais plutôt la comparaison entre les styles et l'évolution de cette représentation. Le professeur Arthur Dale Trendall, avec une gentillesse qui n'a d'égale que sa compétence, a bien voulu apporter son concours à l'attribution de ces œuvres à des ateliers précis (1). L'amphore relève du Peintre de Woburn Abbey qui travaillajuste avant le Peintre de Darius dont l'atelier produisit l'hydrie. Ces deux pièces se suivent donc dans la chronologie entre 350 et 330 av. J.-C. Même si la seconde fait partie des oeuvres mineures de cet atelier, elle n'en reste pas moins un chaînon important dans l'évolution de cet art que présente le fonds du musée.
Toutefois, si ces objets viennent compléter le panorama de l'art de la peinture ( siècle av. J.-C. en Grèce occidentale, un vide demeure concernant les grands maîtres de cette peinture tels que le Peintre de Darius, ou le Peintre de Baltimore, pour ne citer qu'eux, qui se sont si merveilleusement exprimés dans de véritables tableaux peints @ vases monumentaux aux sujets mythologiques parfois encore restés non identifiés : ( C'est désormais vers ces pièces, plus rares mais aussi plus onéreuses, qu'il faudrait pouvoir se tourner pour donner une autre dimension à cette collection.

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  Les figurines de terre cuite : images modelées, images peintes, images sculptées :

Longtemps ignorées, dédaignées par les auteurs grecs eux-mêmes qui tenaient le coroplathe (fabricant de Poupées) pour un artisan et non un artiste, les figurines de terre cuite n'ont attiré les regards des collectionneurs, puis des scientifiques, que très tard, vers 1850 (1) et surtout en 1870 lorsqu'on mit au jour les premières statuettes de Tanagra, en Béotie, femmes drapées si caractéristiques que le nom du site devint synonyme de l'objet. En 1880 Salomon Reinach et Edmond Pottierfouillent Myrina, petite ville d'Asie Mineure, qui fournit si abondamment les musées en représentations de toutes sortes. Images de la vie quotidienne tant privée que publique, les terres cuites permettent une meilleure compréhension des mœurs, de la religion, de la vie culturelle.
Témoins ethnographiques, certes, mais pas seulement. En effet, si l'historien grec du Ile siècle de notre ère, Pausanias, a très bien décrit la grande sculpture, ces œuvres ont hélas trop souvent disparu. Seules les copies romaines plus ou moins justes témoignent de la qualité des recherches, de la perfection des réalisations; au contraire, les figurines, tellement liées aux hésitations, aux progrès, aux découvertes des sculpteurs, du fait de leur contemporanéité, deviennent un reflet fidèle qui comble les lacunes et parfait nos connaissances, même s'il faut attendre le IVe siècle avant J.-C. pour que la notion de création artistique apparaisse dans l'esprit du coroplathe.
Mais que sont ces objets, quelle était leur destination, à quoi servaient-ils ? Plus que les textes ce sont les lieux de découverte et l'étude des oeuvres elles-mêmes qui répondent à nos questions.
Les tombes ont révélé un nombre considérable de terres cuites, ainsi que l'habitat et les sanctuaires. Dans les sépultures il semble que, jusqu'au Vlle siècle avant J.-C., les rigurines remplissent le rôle des oushabti égyptiens : celui de personnages de substitution chargés d'aider le défunt dans sa vie dans la tombe, à laquelle croyaient les Grecs.
On leur associe des images des divinités tutélaires, protectrices et accompagnatrices du mort. Puis iu Ve siècle avant J.-C., les croyances religieuses ayant évolué vers une plus grande spiritualité, ces dépôts cessent pour être remplacés par des souvenirs de la vie terrestre, heureuse. Dieux et déesses eux-mêmes diminuent avant de revenir en force à l'époque hellénistique.
Une évolution semblable s'observe dans les sanctuaires où, jusqu'à la fin de l'époque archaïque, l'ancestrale déesse-mère, assise, hiératique, allaitant ou tenant un enfant, continue d'exister sous des noms différents, témoins d'une religion dominée par le culte d'une divinité féminine. Les offrandes sont nombreuses et variées, jusqu'à l'image de l'offrant lui-même, debout, portant son porcelet à Aphrodite (2) ou des fruits à Déméter (cf n' 75).
Elles sont déposées en si grande quantité que, régulièrement, il faut enlever les plus anciennes qui sont alors brisées et enterrées dans des fosses, à l'extérieur du temple ; ce geste confirme la pérennité du sacré des statuettes. Puis les dieux du panthéon grec s'imposent et, si, lors des périodes troubles, la dévotion fléchit, ils reprennent leur place à Ilépoque hellénistique, guidés par Aphrodite, Éros, Dionysos et son thiase. Attis et Cybèle, dieux orientaux, apparaissent. Les accompagnent des danseuses, des caricatures du monde du théâtre, des représentations humaines. Dans les maisons, les terres cuites correspondent aux cultes domestiques mais, à partir du Ille siècle avant J.-C., on les trouve aussi comme bibelots d'ornement: symboles de la foi populaire elles étaient devenues objets d'art.
Une constatation s'impose: les mêmes figurines se retrouvent indifféremment dans l'un ou l'autre lieu; cela tendrait à prouver que le coroplathe ne fabriquait pas des terres cuites de plusieurs catégories votive, funéraire, décorative, mais que seule l'intention de l'acheteur attribuait à l'objet une fonction et une valeur précises.

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